
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Tiphaine Samoyault
Date de parution : 7 Octobre 2010
Rayon : Récit/Chroniques – Collection : Fiction et Cie
272 pages
Prix : 29,80 euros

2012, année du changement mais aussi celle de la nostalgie. Réminiscence d’une blonde ondulante, qui depuis le 16 mai 2012 souffle sur la Croisette la bougie de sa perpétuelle renaissance. Le 5 août 1962, Marilyn faisait ses adieux. 50 ans plus tard le monde entier, Festival de Cannes y compris, ne peuvent se résoudre à l’oublier.
Devançant les commémorations du cinéma, les Editions du Seuil annoncèrent dès 2010 « leur préférence pour les blondes » en publiant Fragments, recueil des écrits intimes de Marilyn qui s’affirme comme un voyage poétique dans la psyché de la blonde explosive. Un cadeau précieux à offrir à tous les fans ou profanes désireux de découvrir une autre Marilyn : secrète, singulière, avide de lectures et de Renaissance italienne.
Dès les premières pages, Fragments suscite des interrogations irrationnelles. Et si l’effet papillon avait été conçu par des mathématiciens cinéphiles amoureux de sa beauté ? Un poupoupidou de Marilyn sur grand écran ne provoque-t-il pas encore aujourd’hui une tornade de sensualité dans n’importe quelle salle obscure ? Pourquoi au-delà de sa volupté Marilyn continue-t-elle à nous habiter de sa présence ? Peut-être la réponse est-elle nichée dans ce recueil né de trois volontés. D’une part celle d’Anna Strasberg, jeune épouse du directeur de l’Actors Studio Lee Strasberg, mentor et ami de Marilyn. Bien des années après le décès de son mari, c’est donc Anna Strasberg qui décida de rendre public les mots intimes de la star découverts fortuitement en triant les affaires personnelles du défunt. D’autre part, celles des éditeurs Stanley Buchtal et Bernard Comment.
En recourant à la métaphore du papillon-chrysalide, la très belle préface tisse un chemin de soie autour de la fragilité paradoxale d’une Marilyn sur-sexuée désireuse de prendre son envol artistique. L’idole de platine s’y révèle aussi touchante qu’infiniment seule. Toujours un carnet à proximité, elle délivre entre ivresse et lucidité sa substance intérieure, les soubresauts de son âme révoltée et suicidaire et l’on peut lire la tragédie dans ces quelques mots « Vie, je suis tes deux directions, demeurant tant bien que mal suspendue vers le bas le plus souvent mais forte comme une toile d’araignée dans le vent ». Avec un rare sens de l’introspection, elle évoque son incapacité à conjuguer avec autrui le mot confiance en écrivant avec pertinence « Seuls quelques fragments de nous toucheront un jour des fragments d’autrui – La vérité de quelqu’un n’est en vérité que ça…». Mais au-delà de ces moments de désarroi, elle livre aussi ses petits bonheurs de cuisinière ou de maitresse maison que l’on lit avec tendresse.
Par sa plume captive et brouillonne Marilyn nous éclaire sur sa dualité émotionnelle faite d’inaptitude au bonheur et de sourires carnivores. Entre pudeur et exhibitionnisme, sagacité et candeur, elle chercha sans fin « une joie habillée de chagrin ». Apparait au fil des pages une Marilyn traquée, lassée de la convoitise mais ne cessant de lutter pour devenir une grande comédienne. Inlassablement, elle désira s’instruire, maitriser son art, suivant scrupuleusement l’enseignement de Lee Strasberg, allant même jusqu’à épouser le dramaturge Arthur Miller pour légitimer sa quête d’érudition. On y découvre aussi une Marilyn consciente de sa névrose familiale qui accorda à la psychanalyse un pouvoir rédempteur qui finit par l’aveugler.
Fragments s’impose donc comme un témoignage touchant, richement documenté et illustré qui choisit de s’émanciper de la simple mise en perspective iconique. Sans voyeurisme, le lecteur s’autorise à cheminer aux côtés d’une autre Marilyn : celle qui aima d’avantage les mots que les diamants. Pour autant, Fragments ne résout pas l’énigme de cette tragique femme enfant, qui au-delà de sa plastique avait en elle ce petit supplément d’âme pour devenir un mythe. Reste une Marilyn évanescente, fascinée par le pont de Brooklyn, une Marilyn à la blondeur détachée, prête à prendre son envol vers des ailleurs qui feront encore couler beaucoup d’encre.
Image éternellement sublimée de Marilyn… Si les hommes préfèrent les blondes, les brunes comptent pas pour des prunes (comme dans la chanson de la jolie brunette Lio). Ah, mais ! Moi, j’ai un grand faible pour une actrice brune pulpeuse : Sophia Loren. A 78 ans, elle a toujours un sex-appeal qui ne laisse pas indifférents ses admirateurs (et admiratrices) de la première heure. Très bonne semaine à toi, amie Astrid. Je t’embrasse.
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Astrid, nul doute, à travers ce que tu nous dévoiles de Marylin (via ce « fragments » dont tu nous parles si bien), qu’elle était une femme infiniment plus complexe et plus intéressante que ce que son image publique pouvait laisser penser.
La question que je me pose est autre, et j’aimerai que tu me donnes ton avis.
Depuis plusieurs décennies, la légende d’une Marylin symbole sensuel et sexuel ultime, exerçant une fascination irrésistible sur les hommes (et, pourquoi pas, sur les femmes) ne semble être mise en doute par personne. Une sorte d’évidence incontournable qu’il serait malséant de remettre en cause. Or, ayant vu la plupart des films de Marylin (en tout cas les plus connus), je dois avouer, honteux et confus, que je n’ai jamais été sensible à cette sensualité là : en fait, elle me laisse froid.
Pourtant, ne crois pas que je ne puisse être touché par une image de sensualité féminine exacerbée : je pourrais te citer plusieurs actrices capables d’embraser mon imaginaire de mâle avec autant de force que Marylin peut en susciter chez d’autres. Simplement, Marylin ne fait pas partie de mon panthéon personnel.
J’aimerais bien savoir si je suis le seul représentant de mon espèce, atteint d’une sorte d’infirmité chronique inguérissable par la médecine moderne, ou bien si d’autres personnes (hommes ou femmes) sont également insensibles au « charme torride » de Marylin.
Ou, pour formuler la question autrement : quel est le rapport entre le « mythe Marylin » créé au fil des années par les médias du monde entier et la réalité concrète vécue par chacun d’entre nous ?
Qu’en penses-tu ?
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Merci Jacques pour ce commentaire très complet et pertinent ainsi que pour le questionnement que tu soulèves. Il faudrait qu’à l’occasion tu puisses revoir les Misfits de John Huston. La réponse est à mon sens dans ce film. Mais peut-être aujourd’hui le mythe de Marilyn fonctionne-t-il plus auprès des femmes parce que la grande force de Marilyn est qu’elle nous accorde le droit à la fragilité, caractéristique ô combien bannie de nos sociétés encensant la performance au féminin comme au masculin. Les médias l’ont rendue exceptionnelle non pas parce qu’elle l’était mais parce que Marilyn nous regarde droit dans les yeux avec sa part d’ombre et de ce fait nous renvoie à la notre. Dans les Misfits elle hurle qu’on ne peut pas attacher les chevaux sauvages et c’est exactement ce cri intérieur que nos coeurs ressentent toujours osant à peine l’avouer. Le cri intérieur de Marilyn n’en a pas fini de nous poursuivre et acquiert en cela une dimension universelle créant une passerelle commune entre tous les êtres dévorés par une forme de mélancolie, d’ivresse du grand large alors que la vie les laisse à quai. Marilyn est cette liberté, celle de danser les pieds nus sous un cerisier avec une bouteille de bourbon.
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Oui Astrid, ta réponse me permet de mieux comprendre la force que peux avoir le mythe de Marylin. Bien sûr, dans cette dimension de fragilité que tu définis, on s’éloigne de la sensualité qu’elle symbolise habituellement. Sauf si on considère que la fragilité assumée, et même revendiquée, peut englober cette part de sensualité féminine, considérée alors comme légitime car consubstantielle à la féminité. Je suppose que le débat avec certains courants du féminisme pur et dur est ouvert sur ce point ? En tout cas, je suis d’accord sur le fait que le droit à la fragilité est (ou doit être reconnu comme…) universel : il est aussi bien masculin que féminin. Comme tu le soulignes, il s’oppose au culte de la performance qui est au cœur de l’idéologie de nos sociétés libérales. En ce sens, il est « révolutionnaire » !
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