L’herbe des nuits de Patrick Modiano,
Un carnet noir, une femme, des balles perdues…

Un homme retrouve un carnet noir relié au passé. Au temps des bancs publics, au temps d’avant la cicatrice de la Tour Montparnasse, au temps de la Brigade Mondaine quand les inspecteurs étaient de longues silhouettes sorties d’une pensée de Beckett. Un carnet noir avec des notes et des noms. Le souvenir d’une femme, en planque sous les portes cochères qui reçoit du courrier en poste restante. Une femme, secrète, dont le reflet se floute dans la glace sans tain du souvenir. Ensemble, ils déambulent, évitent les lumières crues, boivent du Cointreau au zinc de brasseries vides. Peu de mots viennent au secours de leurs longues marches. Ils avancent en transparence, en effleurements, côte à côte. Autour d’eux, des personnages de film noir, des types avec des noms de truands, des hôtels miteux, des concierges derrière leurs miradors. Entre eux, un secret, celui de quelques balles perdues. Des balles perdues tirées un soir au 46 bis Quai Henri IV. Un soir comme un autre, la femme part. Sans laisser de traces. Sur le carnet noir retrouvé par l’homme, reste les noms.
Patrick Modiano est un romancier, ou mieux un écrivain. Oui, « L’herbe des nuits » est une insomnie littéraire dont on ne veut pas guérir. Dans l’infinie subtilité de sa langue, inlassablement, le romancier nous dit que notre vagabondage dans le souvenir ne fait que commencer et que ce temps passé est notre troisième œil. Troublés, saisis d’un plaisir hypnotique, nous renouons avec les thèmes chers à l’auteur, avec l’inconfort des banquettes de moleskine, avec l’odeur de solitude des brasseries parisiennes, avec toutes ces lampes de chevet qui ne s’éteignent plus. Au fil du sablier Modianesque, la blessure de l’amour revient nous hanter en dépit de nos pâles subterfuges pour la faire taire. Promeneur solitaire d’un temps révélant toute chose, Patrick Modiano effleure avec chasteté le tressaillement de nos corps. La chair de la nostalgie.
Doit-on encore lire Patrick Modiano ? A cette question, que certains peuvent encore se poser, je réponds OUI.
Astrid MANFREDI, le 10/10/2012
Informations pratiques :
Roman : L’herbe des nuits
Auteur : Patrick Modiano
Editeur : Gallimard
Nombre de pages : 177
Prix France : 16,90 euros
On est adepte de Modiano ou on ne l’est pas. Comme tu le sais, nous avons dans notre bibliothèque tous ses livres, jusqu’à son dernier roman, dont tu fais une excellente critique. Mais en définitive, sa lecture n’est pas indispensable. Steppy n°2 (qui est modianesque à fond) n’a pas été si enthousiaste que cela.C’est assez répétitif, m’a t-il dit. Il y a des musiques nostalgiques et mélancoliques dont on finit par se lasser. Dommage.
Je ne suis pas une adepte de cet écrivain. J’ai « survolé » son oeuvre, car je n’accroche pas, malgré sa quête, ses enquêtes, ses « errances » dans les rues de Paris où les fantômes ressurgissent toujours du passé et les adresses se révèlent inconnues. Je n’ai pas pu l’écouter jusqu’au bout, lors de sa récente interview à La Grande librairie. Il ne m’a pas convaincue. J’ai une nette préférence pour Alexandre Jardin. A chacun ses écrivains.
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Très belle critique, Astrid, bien dans la ligne Modianesque, si j’ose écrire.
Vous donnez envie de continuer à lire cette petite musique triste qui nous renvoie à nous-mêmes, notre passé, le temps qui fuit, nos zones d’ombre aussi.
Merci!
Nicole
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Merci Nicole. Modiano est un auteur majeur, le chroniquer est toujours un grand bonheur. Astrid
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