Papi va mourir, c’est maman qui me l’a dit. Elle parlait dans son foulard et elle cachait ses yeux en même temps qu’elle le disait. Après son foulard était tout mouillé et ses yeux rouges. Y avait aussi du noir sur ses joues, celui qui avait coulé de ses yeux car elle pose des minuscules pattes d’insecte sur ses cils.

Papi va mourir dans sa maison près de son tableau de la mer de Bretagne où il y a plein de coquillages et aussi du sable qui semble très doux, près de la photo de mamie qui est morte il y a 5 ans mais je ne m’en souviens plus bien. Sur la photo mamie porte une robe avec des fleurs jaunes et elle tient un panier. Il y a beaucoup de soleil. C’est à Menton m’a dit maman. J’ai pas bien compris, menton pour moi c’est ce qu’il y a au-dessus du cou. Même que maman parfois l’attrape entre ses doigts surtout quand elle n’est pas contente après moi.

Papi va mourir. On lui pose de drôles de pansements sur le bras pour pas qu’il souffre du truc qu’il a dans le ventre. Ce sont des infirmières qui viennent lui poser deux fois par jour. Tout le monde parle avec papi même quand il dort. On lui caresse ses mains où il y a de grosses veines bleues qui ressortent. Ça le fait sourire parce que ça le chatouille. Parfois il se réveille et il me regarde de toutes ses forces. Ses yeux disent qu’ils me regarderont jusqu’au bout. Jusqu’au bout de la respiration, inspirer expirer comme on fait en classe avec la maitresse quand nous sommes trop énervés.

Papi va mourir. Il est gentil mon papi. Il a des poils tout raides qui sortent du nez et aussi des grosses lunettes avec des verres qui lui font des yeux de Manga. A la télé il aime bien le foot. Enfin, le vieux foot comme il dit. Celui de Michel Platini. Connais pas mais parait qu’il était super bon et puis surtout il était italien comme mon papi qui a un nom en i et moi aussi. Il aime aussi la géographie même s’il a surtout voyagé dans son fauteuil d’après ce que j’ai compris. Il me parle de l’Asie du Sud-Est, des longues rizières d’un vert parfait, des chapeaux pointus sur la tête des femmes, de la baie d’Along qui dort sous la brume. Il me parle de sa Bretagne qui l’a adopté. Là où il y a des menhirs que seul Obélix peut soulever. Là où les grosses mains des femmes coupent les têtes des sardines. Là où le vent est une personne. Une jeune fille que tout le monde veut conquérir mais personne n’y arrive.

Papi va mourir dans son lit, le cœur bien protégé par ceux qui l’aiment. Jusqu’au bout il a dit. Il a eu beaucoup de douleurs dans sa vie et il n’a pas peur de la dernière. « Si tu ne sais pas souffrir tu ne sais pas vivre », il disait ça souvent. Quand personne ne regarde je lui caresse la plante des pieds. Sa peau est dure parce qu’il a beaucoup marché. C’était un grand marcheur mon papi. C’était sa religion. Marcher très loin dans la forêt ou alors très loin sur les monts d’Arrée les pieds dans la boue. Je l’ai accompagné quelques fois pas trop vite parce que j’ai encore des petites jambes. Il me montrait comment la nature vit. Comment tout est vie. Comment tout recommence.

Nous sommes tous autour de lui. Maman est toute blanche. Papa aussi même s’il fait semblant de ne pas être triste. Il y a aussi son infirmière préférée Clotilde qui sourit tout le temps parce qu’elle n’a pas le temps de pleurer. « Y a personne d’inutile », c’est sa phrase. Papi lève la tête, un tout petit peu. C’est moi qu’il regarde avant de s’endormir pour toujours. Pour que je continue.

Astrid MANFREDI, copyright tous droits réservés le 11 mars 2024

5 comments on “Découvrez mon texte : Papi va mourir …

  1. Anonyme

    Superbe

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  2. Anonyme

    très bien écrit mais je n’ai pu retenir mes larmes en pensant à mon grand père que j’adorais! C’est excellent! On se mets dans la peau de la petite fille toute en poésie!! À bientôt bises France

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  3. Celine Girouard

    Tres emouvant ce texte..ecrit dans le langage d une petite fille avec emotion et simplicite.cela me fait penser au roman « ma reine » de Baptiste Andreas ou tout est ecrit et vu au travers du regard de l enfant.a poursuivre Astrid..merci Celine

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