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J’entends la brise légère

Le gémissement peureux du vieux saule

J’entends la brise légère

Elle vient de Venise, ils l’ont dit

Même s’ils n’en savent rien ceux qui disent

A la fenêtre, une femme attend

Elle a fumé toutes ses cigarettes

Sous ses yeux des cernes, deux ailes d’hirondelle

La brise frissonne sur sa peau tamisée par l’Angélus

J’entends la brise légère

Il y a une caravelle échue sur le trottoir

Des enfants y chahutent, pourtant il fait noir

Où pourrait-on partir ?

Rien ne devrait disparaitre

J’entends la brise légère

Ta petite main froide gèle dans la mienne

Sur la vitre tu dessines une étoile filante, du bout des doigts

Mais, personne ne vient

Je suis seule avec toi

Il ne rentrera pas ce soir

Je mords ta joue docile, ragazzina

Tu saignes un peu, en silence

Où pourrait-on partir ?

Tu ne sais pas, tu es trop fadette

N’Y a rien à faire ici

Malgré la caravelle sur le trottoir

Tu cries, « maman, il neige, maman il neige »

Ce n’est pas la neige, c’est l’écume du soir

L’écume blanche de l’océan

« Maman, il neige, il neige pour de vrai »

Sur le bout de ton nez un flocon déluré

Il ne rentrera pas ce soir

Sur le lino rouge je m’allonge

Tu me regardes sans rien dire

Avec ta moue de petite fille qui attend

J’entends la brise légère

C’était bien quand t’étais là

Quand on chantait n’importe quoi

Quand on mangeait n’importe quoi

Quand on disait n’importe quoi

Un tour de clé dans la serrure

C’est rien, c’est la fée du 4^ème

Je reste couchée sur le lino rouge

Elle pose du pain sur mon ventre et aussi un peu de vin

Il faut manger Léna, les hommes sont comme les marins

Parfois ils préfèrent rester en mer

J’entends la brise légère

Demain, nous irons acheter un sapin

Un qui sent bon, un qui vient de l’hiver

Et des hellébores qui ne fanent jamais

Ta petite main froide saisit la mienne

J’ai faim maman, une faim de loup

Je coupe la miche de pain en deux

Tu le dévores, petite sanguinaire

Tes yeux sont les mêmes que les siens

Deux roses noires, le velours du matador

Il y a du bruit dans l’escalier

Des enfants crient, une femme pleure

Au voleur, au voleur crie la folle de l’immeuble

Un homme s’assied sur le lino rouge

C’est l’infirmier du quartier

Il prend mon pouls inexistant

Il faut manger, Lena

J’entends la brise légère

Je suis, allongée sur un brancard bleu

Je ne sens plus ta petite main froide

Où sont passés les goélands ?

Il me semblait en avoir vus

Je m’endors, il est bien trop tard

Pour raconter des bêtises

 C’est l’amoureuse du 4^ème dit une voix

Elle a le cœur comme une brioche, répond la seconde voix

Où est ma petite fille ?

Je me redresse, possédée, ivre de courage

Elle va bien, elle mange du pain

Demain, je mettrai une bouteille à la mer

Une de ton vin qui rend fada

A l’intérieur, notre serment d’ivoire

Un point c’est tout.

J’entends la brise légère, encore.

Astrid Manfredi, copyright tous droits réservés, le 07 février 2023